Pour un européen, essayer d’évoquer l’Afrique renvoie souvent à des clichés comme le colonialisme, l’esclavage, une démographie trop débridée, les phénomènes migratoires.
Alors que l’homme africain essaye d’harmoniser le respect des traditions, d’une part, avec une volonté de créer une modernité qui soit à la mesure de son environnement culturel, social et historique.
Il va donc être à l’origine d’un projet de société qui lui permette d’intégrer les concepts venus de l’Occident et de jeter les bases d’une réelle identité africaine qui mette en valeur son présent et soit en phase son savoir-être et son vivre-ensemble.
L’histoire de l’Afrique est un témoin impitoyable qui engage certains observateurs à pratiquer une amnésie sélective. Notre méconnaissance est à l’origine de bien d’ambiguïtés.
Des grands empires ont marqué de leur empreinte l’histoire de ce continent. Il suffit de rappeler que la construction de la première mosquée de Djenné au Mali a commencé vers 1240, 40 ans avant que ne commence celle de la Cathédrale d’Albi (qui reste la plus grande cathédrale en brique du monde), la mosquée de Tombouctou a été édifiée de 1325 à 1327.
Pour l’Afrique de l’Ouest, ces grands empires et royaumes (Ghana, Mali, Bénin, Songhaï, Dahomey) qui se sont succédé entre le 9ème et le 16ème siècle, ont tiré leur puissance du commerce de l’or, du sel, des produits agricoles, de la transformation et du travail de métaux. L’esclavage existait également, mais sans, en rien, prendre cette forme inhumaine de la bétaillère.
Puis sont arrivées les puissances coloniales qui ont fait main basse sur toutes les ressources naturelles du continent, ainsi que sur son potentiel humain.
Si les colonisateurs ont apporté un système de gestion territoriale et bureaucratique qui assure toujours la cohésion administrative des territoires devenus indépendants, ils ont aussi instauré des frontières qui ne respectaient pas l’histoire et ils ont mis en place une classe politique élevée dans leur sérail (comme l’École Normale William Ponty au Sénégal). Ils ont aussi effacé l’histoire du continent.
Cette classe politique qui s’est radicalisée dans une volonté de créer des états indépendants dans une unité panafricaine.
Sont alors apparus de grands hommes d’état comme Kwame Nkrumah, Modibo Keïta, Sékou Touré, Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Nelson Mandela.
A l’exception de Nelson Mandela,Ils sont tous partis de manière plus ou moins violente, chassés par un nouveau mythe porteur, celui du développement. Ils n’ont laissé en guise d’héritage qu’une sourde nostalgie. Ils ont, contraints et forcés, cédé la place à une classe politique conservatrice, partageant profit et pouvoir, en inventant un monde dont l’évolution remettait en valeur les vieux principes de la colonisation sans renier les principes de la tradition.
C’est par exemple une société machiste qui a inventé des réponses informelles à des situations figées en faisant naître un certain pouvoir aux femmes par le biais d’associations. On y pratique des formes originales d’épargne collective comme la tontine qui libèrent du micro-crédit. On y inculte une culture commerciale et économique qui permet l’apparition de femmes d’affaires comme les « Nana Benz ». On y développe des mouvements de contestation féministe qui luttent contre l’excision. On met en oeuvre des organismes d’assistance juridique aux femmes comme Deme So au Mali. Mais tout cela dans une pratique consensuelle.
Il y a aussi le fait religieux. L’Islam marque de son empreinte l’ensemble de l’Afrique dans sa version malékite qui a l’originalité de concilier les valeurs traditionnelles africaines à la condition qu’elles ne soient pas en contradiction avec les valeurs portées par le Coran. On croit en Allah sans négliger les esprits.
Mais là aussi, on voit apparaître une certaine radicalisation qui peut déboucher dans certains cas sur un extrémisme religieux qui tente de mettre en valeur un retour aux sources et une pureté originelle.
Le colonialisme, dans le sens d’exploitation outrancière des ressources naturelles d’un pays, n’a pas disparu de l’Afrique sub-sahélienne. Aux minéraux traditionnels, viennent s’ajouter les métaux rares, matériaux de base de la transition écologique et numérique et dont les modes d’extraction sont loin de répondre à des critères sociaux et humains. Je citerais aussi le phénomène d’accaparement des terres agricoles, qui transforme la paysannerie traditionnelle en des orphelins ruraux, et aussi des futurs migrants.
Aux rênes de ces investissements, des conglomérats européens, chinois, sud-africains, américains.
Et l’économie réelle, comment pourrait-elle être abordée ?
Je la compare à une énorme toile toute fissurée qui recouvre un énorme réservoir d’énergie et qui peine à la canaliser. L’énergie n’est pas contenue et se disperse à tout vent laissant la place au grand désordre.
Des événements comme la sécheresse, la désertification, la faim, la pauvreté, l’ignorance, un système cultural inadapté, un taux de mortalité ou de fécondité trop excessif, une carence de scolarité vont engager les acteurs qui les vivent dans des actions positives ou négatives.
Une grande partie du monde rural migre vers les villes sans que le monde urbain ne puisse leur offrir un abri soutenable.
D’autres préfèrent emprunter les voies périlleuses qui mènent à l’inconnu d’un monde apparemment plus ouvert.
Mais les solutions sont connues.
Il faut créer de la croissance propre. Mais comment ?
Il ne faut surtout pas obturer toutes ces fissures. L’énergie existe toujours mais ne trouvant pas d’issue à son expansion, elle va faire éclater la toile et engendrer un nouveau chaos.
Il faut donc pouvoir la canaliser par un système de valves qui seraient autant d’opportunités de croissance pour tous les segments de la population concernée.
Une croissance qui distribuerait des dividendes de prospérité tant en termes monétaires que non monétaires, équitablement à travers l’ensemble de la société.
Il faut pouvoir apporter une nouvelle dynamique à l’existant, lui donner les moyens d’introduire de la valeur ajoutée là où il y a des carences constatées par les acteurs eux-mêmes (et j’insiste beaucoup là-dessus).
Il faut aussi promouvoir la création d’entreprises qui respecte ces règles. J’en suis conscient comme je suis conscient que cette tâche n’est pas à la portée de tout le monde.
Elles viendront relever les défis prioritaires comme celui de l’agroalimentaire, de la transition énergétique, rurale, urbaine..
Il faut aussi se défaire de ce que j’appelle « l’illettrisme » du demandeur d’emploi. Cette incapacité à se projeter dans un projet professionnel, à comprendre que la recherche d’un emploi tout comme l’aventure entrepreneuriale, s’inscrivent toutes deux dans une même logique de projet personnel.
Si Il est vrai que l’Afrique connaît une expansion démographique avec laquelle elle doit apprendre à vivre, elle a d’autres préoccupations comme le déficit en infrastructures qui limite fortement son développement et qui induit une limitation de productivité de l’ordre de 40 %.
Elle doit faire face à un manque de compétences et d’expertises techniques et à un déficit en formation.
Les pays africains se voient dans l’obligation de faire appel à des compétences venues d’ailleurs, qui coûtent chers, alors même que le taux de chômage des jeunes reste fort élevé et handicapant pour les économies locales. Ils vivent à l’inverse notre problème des plombiers polonais tout en restant dans le cercle non vertueux de la colonisation.
Mais si ce déficit d’infrastructure est en apparence un frein, il pourrait aussi être le signe d’un besoin et d’une demande réelle satisfaites par des ressources humaines existantes.
Si et seulement si on mettait en oeuvre une stratégie d’ajustement de l’éducation aux secteurs productifs.
Si et seulement si on ne pensait plus en termes de bureaucratie, de clientélisme et d’héritage colonial, pour ouvrir les portes à une culture d’emploi pragmatique qui favorise l’innovation technologique, la valorisation de l’artisanat, la mise en valeur du secteur informel et la création d’entreprise.
Si et seulement si, on voulait comprendre que le développement ne se résume pas à une distribution de subventions dont une grande partie est distribuée à ceux qui ne respectent pas les règles démocratiques
Il y a aussi un autre paramètre qui a une importance extrême. C’est celui de mettre en valeur les impératifs de l’économie sociale et solidaire qui met l’entreprise au service d’un projet d’intérêt général en cherchant à résoudre une problématique sociétale.
Créer des foyers d’incubation d’une culture alliant tradition et modernité, instaurer une dynamique de l’emploi sur le terreau national et favoriser la création collective et assistée d’entreprises.
Mettre en place un réseau maillé d’Iles de la Paix, dédiées à un développement local et régional durable et inclusif.
C’est plus qu’une préoccupation pour une génération d’étudiants. Elle s’est regroupée dans une association, la Cellule pour le Développement du Mali. Beaucoup d’entre eux qui repartent au pays y découvrent la vie réelle mais n’abandonnent pas leur amour du pays.
Plus qu’une Utopie, une Afrotopie.