J’ai participé récemment (27 et 28 octobre 2017) à un forum sur l’emploi et l’entrepreneuriat organisé par l’Association des Étudiants Maliens (ADEM).
Les différentes institutions qui étaient présentes à ce forum ont exposé les efforts qu’ils déployaient ; chacun dans leur propre sphère d’influence mais sans qu’on ne ressente une réelle cohésion, sans qu’on ne puisse l’intégrer dans une politique commune de l’emploi.
Tous les thèmes ont été abordés, portés par des personnes représentatives de la société civile et publique du Mali.
Portées également avec enthousiasme, dynamisme et réactivité par les étudiants et diplômés maliens, ces journées avaient l’ambition de répondre aux interrogations de ceux qui sont venus accomplir des études en France.
En venant en France ou à l’étranger, ils font la preuve de leur esprit d’entreprise, dans leur propension naturelle à surmonter les nombreux obstacles qui jalonnent leur parcours.
Mais la thématique du retour se pose à chacun d’entre eux de la même manière.
Autant qu’à l’aller, cela reste une aventure ambiguë.
Je ne pense pas qu’on revient au pays de la même manière qu’on en est parti, ni avec le même bagage intellectuel ou culturel.
Le retour, c’est aussi un moment d’échange entre deux visions, celle du pays enrichie de ses évolutions, de ses opportunités, de ses progrès, celle de celui qui revient au pays, enrichie d’une autre approche culturelle, d’autres modèles intellectuels et sociaux.
Il faut arriver à synthétiser ces divergences pour optimiser la meilleure façon de l’adapter au développement du pays.
Celui qui revient doit pouvoir comprendre ce nouvel environnement et faire la synthèse entre ce qu’il avait connu et ce qu’il redécouvre. En même temps, il lui faut apprendre à adapter ses connaissances à ceux qui n’ont pas suivi le même chemin que lui.
Le Mali présente un écosystème très sensible. Pour reprendre les mots de Felwine Sarr, dans l’introduction de son récent ouvrage « Afrotopie », « il est balisé par la foi en un futur radieux et la consternation devant un présent qui semble chaotique ».
Son économie vit dans un univers figé. On peut la comparer à une énorme sphère toute fissurée. Comme il n’y a pas beaucoup de contrôle, l’énergie contenue se disperse de manière chaotique en ne laissant place qu’au désordre.
Une grande partie du monde rural migre vers les villes sans que le monde urbain ne puisse leur offrir un abri soutenable. D’autres préfèrent emprunter les voies périlleuses qui mènent à l’inconnu d’un monde apparemment plus moderne.
Le pays produit des oranges mais ne peut pas les écouler car certains pays comme le Maroc les importent avec des prix concurrentiels. Le coton (650 000 Tonnes pour la campagne 2016-2017), est une source importante d’exportation du pays. Mais sa compétitivité est menacée par les pratiques de subvention utilisées par d’autres pays producteurs comme les États-Unis. En plus sa culture est pluviale et donc soumise aux aléas climatiques. Et sa filière de valorisation par la filature, le tissage et la teinture est mal gérée.
On pourrait donner d’autres exemples comme la filière lait où en cas de carence on utilise la poudre de lait, ou la filière viande. Ne parlons pas de l’or dont la valeur ne contribue en rien au développement régional.
Il faut aussi une main d’œuvre qualifiée avec une formation de qualité.
Le pays a des ressources mais son potentiel et sa valeur contributive s’évaporent par toutes ces petites fissures.
Les solutions sont connues. Il faut créer de la croissance. Mais comment ?
Il ne faut surtout pas fermer toutes ces fissures. Trop d’énergie sans issue amènerait l’enveloppe à éclater. Il faut la dompter et la canaliser par un système de valves ou un réseau de PME.
Elle viendront relever des défis prioritaires comme celui de l’agroalimentaire, de la transition écologique et numérique et les technologies mobiles.
De manière plus simple, il faut apporter une nouvelle dynamique à l’existant, lui donner les moyens d’introduire de la valeur ajoutée là où il y a des carences constatées, soit par la transformation, ou l’accélération des prestations de service.
Il faut renforcer les compétences et l’employabilité des jeunes en intégrant plus les entreprises dans la conception et la mise en œuvre des programmes de formation professionnelle et d’enseignement supérieur en particulier sur les nouveaux métiers liés à la transition écologique, la transition numérique.
Il faut donc promouvoir la création d’entreprise. J’en suis conscient comme je suis conscient que la tâche n’est pas à la portée de tout le monde.
Il faut donc agir avec précaution, utiliser les moyens adéquats, comme un meilleur accompagnement du parcours des jeunes dans la recherche d’emploi, comme un renforcement des dispositifs d’information, comme la conception de programmes d’entrepreneuriat intégré.
Comme un recours opportun et réfléchi au financement. Je pense à des pratiques comme celle de l’EZF (Entreprendre avec Zéro Franc),programme que la BAD utilise pour la formation des jeunes en entrepreneuriat.
Avant toute chose, il faut essayer de résoudre ce que j’appellerais « l’illettrisme » du demandeur d’emploi. Cette incapacité à se projeter dans un projet professionnel, à comprendre que la recherche d’un emploi tout comme l’aventure entrepreneuriale, s’inscrit dans une logique de projet.
Il y a aussi la nécessité de créer une culture de management apte à gérer le changement, qui pense valeur ajoutée, besoins sociaux et économiques, qui soit en phase avec une valeur travail efficace et collective.
La qualité de l’emploi est un paramètre essentiel de l’innovation et de la croissance. Il faut pouvoir créer des organisations performantes, il faut pouvoir penser investissements, et je le répète encore, valeur ajoutée, car elle est l’expression d’une volonté de création, d’adaptation permanente à des besoins et à un marché en constante évolution, donc de pérennité de l’entreprise.
Je lisais récemment un article intitulé : Problématique de l’emploi des jeunes au Mali : Des pistes de réduction de chômage.
« L’auteur dégageait quelques pistes de réflexion.
- Faire de la formation professionnelle un levier essentiel de compétitivité et de réduction des inégalités ;
- Engager les entreprises qui ne peuvent pas embaucher à parrainer des auto-entreprises
- Privilégier le métier plutôt que le diplôme. Mettre en place un système d’apprentissage avec très forte implication des entreprises, ce qui permet une excellente adéquation entre l’offre et la demande de qualification.
- Mettre en place des mesures d’incitations propices à la création d’entreprises de toutes tailles par le secteur privé et notamment par les jeunes, dans tous les secteurs de l’économie, de l’agriculture aux arts, en passant par l’industrie et les services
- Créer des conditions favorables à une meilleure transformation du secteur informel en un secteur formel bien structuré et plus conforme aux contraintes de la jeunesse. »
Au regard de ces propositions et de ces réflexions, on ne peut qu’insister sur le rôle fondamental que doivent jouer ces associations comme l’ADEM ou la Cellule Pour le Développement du Mali (autre organisation d’étudiants) pour participer au développement de leur pays.
Quelques exemples qui me viennent à l’esprit.
Il y a un problème d’orientation professionnelle, tant en amont qu’en aval du cursus scolaire. Pour y répondre, on voit apparaître des micro-entrepreneurs qui pratiquent le conseil en orientation professionnelle.
Il nous semble qu’il y a des ouvertures de projets pour des diplômés réunis en groupement, par exemple :
Pour aider des jeunes à mieux appréhender les réalités d’un métier.
- Faire participer des professionnels dans des vidéos conférences, visibles sur les réseaux sociaux, pour décrire leur métier, leur expertise, les raisons de leur choix (voir un exemple ici ou encore là)
- Faire parler des jeunes diplômés sur leur cursus personnel, sur les raisons de leur choix, sur les satisfactions qu’ils en retirent,
- Faire parler des jeunes qui ont un emploi sur « comment ils ont trouvé leur job ? »
- Dans un autre ordre d’idée, faire participer des jeunes pendant leur scolarité, à des projets qui intéressent directement leur communauté, par exemple, avec l’appui de jeunes diplômés et d’associations existantes, réaliser un projet d’électrification, électrifier un puits avec l’énergie solaire, prévoir un système de collecte de déchets, etc.
- Toujours dans le cadre de l’école, créer des ateliers de formation au codage et créer avec eux des petits programmes d’informatique mobile qui ait un impact sur des problèmes réels.
- Créer un lieu qui recenserait les entreprises, évaluerait leurs forces et leurs faiblesses pour savoir à quels problèmes ils sont confrontés et quels besoins veulent-ils satisfaire (autre exemple)
- Dans ce même lieu, il faut aussi travailler avec tous les jeunes maliens, chercheurs d’emploi, à évaluer leurs forces et leurs faiblesses, à bien connaître leurs problèmes, à apprendre à prouver leurs compétences et à développer un état d’esprit (comme ce modèle).
Il est évident que ce genre d’initiatives doit se faire en partenariat avec des institutions comme l’ANPE.
De même, le développement d’un tissu de PME, innovantes et compétitives, pour attirer les jeunes diplômés doit être parrainé par des organisations de qualité et expérimentées dans la savoir-faire de l’entrepreneuriat, comme l’OJEP.
D’où cette nécessité d’un accompagnement qui vaut autant pour ceux qui essaient de satisfaire une carrière professionnelle que pour ceux qui veulent créer une entreprise, que pour ceux aussi qui reviennent les mains vides et le cœur lourd.