Monsieur le Président,

J’ai rencontré pour la première fois l’Afrique en 1990 à Conakry, en Guinée. Mon hôtel était situé dans un quartier résidentiel doté d’un impressionnant éclairage public. Lorsque la nuit tombait et que les lampes s’allumaient, des enfants venaient s’asseoir au pied des lampadaires. Ils venaient bénéficier d’une lumière qui n’existait pas dans leur foyer, pour lire, étudier, apprendre leurs leçons, faire leurs devoirs ou tout simplement parler.

Je retiendrai cette image toute ma vie.

Oui, Monsieur Borloo, l’accès à l’électricité est une valeur fondamentale pour l’avenir de ce continent et l’histoire de son installation est loin d’être un conte de fée.

Il en va d’ailleurs de même de l’accès de ce continent à une modernité reconnue par tous et formatée dans le terreau de ses traditions, de ses valeurs personnelles et de ses visions d’avenir.

L’électrification, sur un terrain vierge, nécessite des infrastructures lourdes gourmandes en temps et en financement. Les carences en mesurent bien les difficultés et nul doute qu’il faille mobiliser toutes les énergies africaines et autres pour y mettre fin, mais pas à n’importe quel prix.

Elle fait aussi appel à une énergie brutale de changement.

Vous voulez mettre en place une volonté politique qui « se traduira par la mise en place d’un organisme dédié à cet objet fondé et dirigé par les états africains eux-mêmes. »

Plus loin vous ajoutez :

« Sans cette prise de position unanime et ferme des États africains, sans la décision de créer un outil dédié, le multilatéralisme, la dispersion et la confusion entre tous les types de programmes continueront. »

Vous avez raison de vouloir rassembler les pouvoirs mais il ne faut pas tomber dans l’illusion de l’assemblée souveraine et médiatrice, consensuelle et volontariste, alors qu’il existe déjà des instances et des autorités en place pour jouer ce rôle. La Banque Africaine de Développement avec sa plateforme africaine SE4ALL, la Banque Mondiale et bien d’autres Bailleurs de Fonds institutionnels et privés unissent depuis longtemps leurs efforts pour gérer des programmes de production, de transport, d’interconnexion, de privatisation, comme la longue odyssée du barrage de Manantali et de l’OMVS, l’épopée des circuits interconnectés en Afrique de l’Ouest, la privatisation de l’EDM au Mali, le démarrage de la première centrale d’Azito en Côte d’Ivoire.

Mais d’un autre côté, je ne crois pas qu’on pourra en faire l’économie.

Et puis apparurent les énergies renouvelables qui s’invitèrent en hôte de choix dans l’écosystème africain.

Celui qui concerne les quatre cinquième de la population africaine. Celle qui ne vit pas dans les villes. Celle qui est approchée par des associations telles que Électriciens sans frontières ou Energy Assistance qui travaillent dans la production d’énergie décentralisée, le raccordement au réseau pour des communautés isolées, la remise en état d’installations électriques.

Comme on peut le voir dans le reportage, Climat – Energies pour l’Afrique, qui a été diffusé sur France 2 le 28 juin dernier.

Mais avec tout le bien qu’on puisse en penser, les actions décrites dans ce reportage, restent des actions « one-shot » (doter une école de panneaux solaires, créer des points d’approvisionnement en énergie, alimenter des systèmes d’irrigation, … ) avec le risque de voir apparaître certaines déviances comme le « fait du prince », le chef du village s’approprie les bénéfices plutôt que de les utiliser pour rémunérer le personnel d’assistance, avec le risque aussi de voir certaines réalisations paralysées par des lacunes d’entretien et disparaître.

Car évoquer le problème du déficit en énergie n’est qu’une partie d’un problème plus profond qui est celui du développement de toutes ces communes et villages ruraux qui représentent une grande majorité du paysage démographique.

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Ce développement qui, comme le dit Denis Clerc, « ne s’intéresse pas aux grandeurs économiques, mais à la capacité des gens à mieux maîtriser leur destin, à mieux utilisr leurs potentialités, à mieux faire face aux malheurs de l’existence et aux défis de la nature ».

Pour ces bénéficiaires, l’approvisionnement en électricité va s’inscrire dans un cadre plus global de valorisation d’un territoire, au même titre que les techniques culturales, l’irrigation, l’éducation, la santé, l’utilisation des technologies de communication, l’émergence d’une dynamique économique, la lutte contre la désertification, la fuite des jeunes sans emploi vers les grandes villes ou pire, dans l’immigration, etc.

Il participe à une stratégie globale de développement local.

A ce propos je voudrais citer une anecdote.

J’ai un jour rencontré le maire d’un village qui était en train de négocier un accord avec une organisation caritative pour installer un système d’irrigation alimenté par de l’énergie solaire. Sans que personne n’ait posé les questions plus pragmatiques telles que

  • Pour des périmètres villageois, une irrigation à motricité humaine n’est-elle pas plus adéquate et opportune ?
  • A-t-on les moyens humains et techniques d’assurer l’entretien et la maintenance des systèmes énergétiques et hydrauliques ?
  • A-t-on pensé aux changements culturaux que cela pouvait impliquer et aux modifications de comportements ?

Dans ce cas, l’important pour le maire c’était la rose qui était offerte par une organisation généreuse, et pour l’organisation généreuse c’était d’avoir mobilisé une partie de ses ressources pour un acte humanitaire.

Je dirai tout de même qu’il existe des exemples plus heureux, comme celui de Teriya Bugu au Mali, complexe de développement durable, mené par le Père Verspieren à partir des années 60.

Le champ d’activité de ce complexe, situé à 30 km de la première route goudronnée, comprend l’agriculture et l’environnement, le développement local, le tourisme solidaire, ainsi que la mise en valeur d’un modèle de valorisation énergétique au travers des énergies renouvelables. Et tout cela, en respectant « une démarche de responsabilisation et d’autonomie des populations locales ».

La culture et la transformation du Jatropha Curcas en agro carburant, ainsi que l’utilisation d’autres sources d ‘énergie contribuent à l’indépendance énergétique du site et de ses hameaux.

Nous ne sommes pas loin de voir apparaître un modèle de maillage qui inclut production et transport d’énergie, à partir d’ilôts visant d’abord une indépendance pour ensuite se raccorder à leur environnement et finalement s’intégrer au réseau national.

Ce qui me paraît être la voie la plus pragmatique, prônée d’ailleurs par IRENA (International Renewable Energy Agency), et la plus en phase avec les paramètres de développement local durable.

« Décentraliser l’énergie en construisant des mini-réseaux dimensionnés à l’échelle d’un ou plusieurs villages et alimentés par un site de production qui leur est consacré. »

Lire « Une centrale solaire de 33 MW en projet au Mali » et « Solaire : les Bluezones, des oasis électriques en plein désert« .

Il y a aussi la formation à ces nouvelles technologies qui implique à la fois une ergonomie de matériel adaptée aux compétences locales ainsi qu’une pédagogie d’appropriation, sur, par exemple, le modèle proposé par le rappeur Akon, avec son projet de création d’une « Académie de l’Énergie Solaire » au Mali.

Nous voulons donner les moyens aux gens de développer leurs opportunités, mais il faut d’abord éduquer les gens. C’est pourquoi nous voulons créer cette université qui se concentre sur l’énergie solaire, afin que les habitants puissent éventuellement inventer leur propre technologie par la suite”.

Au-delà des mots, ce sont encore les paramètres de développement local durable et de partage qui sont mis en évidence.

Voilà ce que voulais vous dire, Monsieur le Président.

Je ne pense pas vous avoir fait des révélations et j’ai bien conscience que ma vision des choses relève peut-être d’une certaine banalité.

Je partage votre enthousiasme et je voulais le dire à ma manière.

Énergétiquement votre.

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